Parmi les nombreux effets psychologiques du confinement, l’anxiété voire l’angoisse est le plus souvent cité. Arrêtons nous un instant sur ce qui se passe en nous.
L’anxiété est l’anticipation du pire dans une situation donnée; l’angoisse est sa majeure, son acmé, l’étape supérieure, dans laquelle le plus souvent surviennent des inconforts corporels, voire de véritables tourments (poitrine serrée, boule au ventre, mains moites, vertiges et même somatisations diverses et variées).
Mais pourquoi nous angoissons nous?
Au départ la plupart du temps, pour des raisons fort louables : nous pensons nous préserver en prévoyant le pire. Ou plutôt notre « mental », notre fonctionnement psychique plus ou moins inconscient, met en place cette défense pour tenter de « contrôler » la situation qui nous inquiète. Cela part d’une louable tentative, sauf que ça ne résout rien, bien au contraire.
Car vous l’aurez compris, il est envisageable de ne pas s’angoisser, même dans les pires situations :-)).
Laissons la Pleine Conscience nous éclairer.
Comme nous l’avons vu ensemble dès le premier cursus, nos pensées ne sont pas des faits.
Elles sont notamment très dépendantes de nos émotions, de nos projections habituelles sur la vie et sur l’avenir, elles même dépendantes de notre histoire et de la lecture que nous en faisons. Elles sont aussi influencées par l’extérieur, l’ambiance (informations, humeurs des autres). Autrement dit comme l’écrivait déjà Pascal dans ses Pensées, nous vivons tous avant tout dans notre propre monde, plus rarement dans le réel. Le grand organisateur de cette représentation intérieure, la Pleine Conscience, issue vous le savez pour l’essentiel de la philosophie bouddhiste, le nomme « le mental ». L’équivalent en psychologie occidentale n’existe pas vraiment. Pour les bouddhistes, le mental est l’ensemble des processus psychiques nés de l’illusion de notre séparation d’avec le monde (ego), mais aussi de l’illusion de notre mortalité (l’esprit selon les bouddhistes ne connaissant pas de fin). Le mental nous est utile (pour les processus cognitifs qu’il rend possibles), mais doit être tenu en laisse, dominé par la Conscience. Définir la Conscience en quelques mots serait bien présomptueux de ma part, mais on pourrait s’en rapprocher en expérimentant ce qu’est notre présence, dans l’observation du souffle et la sensation du corps dans l’instant présent, sans plus d’activité mentale (ou presque :-)). Cela s’appelle la Méditation.
Je vous rappelle à ce stade la définition de la Pleine Conscience donnée par Kabat-Zinn : « Porter délibérément son attention, dans l’instant présent et sans jugement, aux choses telles qu’elles sont ». Ceci est la voie vers la Conscience, qui transcende le mental et dissout la peur. C’est une expérience avant tout.
Revenons à nos angoisses.
Quand nous ne nous maintenons pas dans cette Conscience là, nous sommes à la merci de nos pensées (influencées par tout ce que nous avons cité plus haut), et du champ d’énergie qu’elles créent et développent en nous. Pensées joyeuses, pas de problème (si ce n’est leur fin prévisible et probable), pensées négatives, et nous voici enfermés dans un monde factice et possiblement insupportable. Pourquoi factice me direz vous? Le virus est bien là, ses victimes, ses conséquences néfastes. Certes. Mais dans l’instant présent, sommes nous confrontés « en vrai » comme disent les enfants, à une de ces conséquences? Si ou quand c’est le cas, la plupart du temps, nous faisons face. Si nous avons alors la capacité développée dans la méditation à l’observation de nous même, nous constatons souvent que nous ne sommes pas détruits par l’adversité. Nous sommes encore là, et le plus souvent nous faisons le nécessaire. Ce qui nous détruit plus sûrement que l’épreuve, c’est l’angoisse. Et pour la contrer, la Pleine Conscience nous suggère avant tout de réaliser que ce que nous imaginons n’existe pas ou pas encore, ou parfois n’existera jamais (le plus souvent). Retour à l’instant présent. Ce qui existe en cet instant, c’est une pensée fausse ET toxique, qui nous épuise et nous prend de l’énergie inutilement.
En étant conscients de ce qui se passe dans notre mental, nous retrouvons notre liberté.
Sans Conscience, pas de libre arbitre.
Sans Conscience, nous sommes condamnés à être ballotés d’inquiétudes en anxiété et d’anxiété en angoisses.
Comment procéder?
1) D’abord reconnaître ce processus inconscient qui nous laisse penser qu’à moins que nous nous fassions énormément de soucis, nous ne faisons pas notre maximum pour faire face à la situation. C’est évidemment faux. Nous faire du souci nous désarme et nous épuise, c’est tout. L’anxiété donne vie à ce qu’il y a de plus inquiétant pour nous, indépendamment de toute réalité présente. C’est une illusion. Qui plus est, une fois lancées, ces pensées ont une puissance terrible. Inutile également de les combattre, c’est le plus souvent les renforcer, leur redonner de l’énergie.
Le plus efficace est de reconnaître leur caractère illusoire ET destructif.
C’est du fake, et du fake nocif!
Inutile également de s’en vouloir (votre mental est humain :-), de se mal juger (hors travail sur soi, nous fonctionnons tous comme cela).
2) Ensuite prendre une forte décision intérieure: « Je ne veux plus suivre mon mental dans cette direction ». Je reprends la main, c’est moi le boss! :-). Pour ne plus suivre notre mental, il va donc nous falloir le guider dans la direction que NOUS avons choisi; guider notre attention là où notre Conscience a une chance d’apparaître, nos illusions de se dissoudre, l’instant présent de dominer les projections futures. C’est tout le travail de la méditation : apprendre à dominer notre attention, à stabiliser notre esprit, et à le guider vers un état de conscience plus large et plus éclairé.
Par exemple, détournons notre attention vers notre corps ou vers notre souffle, comme dans notre entraînement le plus basique. Vous connaissez. Mais permettez moi de préciser qu’il n’est plus temps de s’entraîner lorsque l’angoisse est là. C’est bien l’entraînement régulier d’une pratique quasi quotidienne (même d’une dizaine de minutes, idéalement 20), qui nous permet de trouver l’instrument disponible au moment de l’urgence.
J’ajoute à cette pratique connue de vous un exercice proposé par l’enseignant spirituel Eckhart Tolle, dont je me suis largement inspirée pour notre méditation de samedi. En cas d’invasion par l’anxiété (le matin au réveil par exemple), Eckart Tolle propose de porter notre attention dans nos mains. De préférence en posture de méditation, portez votre attention dans vos mains en vous demandant ce que vous ressentez. Prenez votre temps. Stabilisez votre attention. Respirez profondément. Si vous êtes bien dedans, au bout d’un certain temps, vous allez sentir des picotements, une réelle présence vibratoire de vos mains, c’est à dire l’énergie qui y circule, la vie qui est en vous. Si cela vous est difficile, essayer ceci : choisissez votre main directive, et demandez vous si elle est encore au bout de votre bras? Qu’est-ce qui vous permet d’en être sûr (e)? Ressentez. Donnez vous du temps. Plus le temps passe, et moins vous ressentez l’angoisse. Tant il est difficile (impossible?) d’habiter totalement votre corps et l’instant présent, ET de laisser vos pensées vagabonder.
Et la douleur du monde?
Permettez moi de clore ce rapide exposé par une question que je pourrais imaginer que vous vous posiez à ce stade. En imaginant que je ne sois pas moi même exposé(e) au pire en cet instant, qu’en est-il du pire que beaucoup d’autres sont en train de vivre, ne m’atteint-il pas? Si. Evidemment. Mais cela n’est pas de l’angoisse. C’est de la compassion (dans le meilleur des cas). Toute angoisse, même pour les autres, est en dernier ressort une angoisse pour soi (je vous invite à y réfléchir). La compassion, elle, est l’expérience qui nous enseigne que tout ce qui arrive à autrui m’arrive à moi aussi sur un plan plus vaste. Et le remède à cela, le moyen d’y survivre et d’y faire face n’est en aucun cas l’angoisse, mais la compassion. Je vous propose d’y revenir si cela vous intéresse lors d’une prochaine lettre? (faites moi part de vos réactions et questions d’ici là).